Ma dernière sortie hors de nos frontières remonte à 18 mois. C’était l’Afrique du Sud que j’avais alors la chance de découvrir. Or s’il est une vérité, c’est qu’une fois qu’on s’est essayé avec tant de bonheur que moi à l’aventure lointaine, elle devient indispensable. 18 mois, c’est long et c’est avec un grand bonheur que je retourne aujourd’hui dans cet état hors du temps, au bord de la rivière ou du lac, loin de chez moi, loin du monde, loin de tout.

Le temps me manque cependant et les voyages trop lointains sont par conséquent assez difficiles à concilier avec mes impératifs. Une semaine. C’est le temps dont je dispose pour aller assouvir mes envies d’exotisme. Par exotisme, j’entends le dépaysement, l’aventure et la sérénité. Par chance, les destinations ne manquent pas !

A l’heure du choix ce sont toujours les mêmes questions qui reviennent. Distance, climat, poissons. En effet, lorsque l'on voyage, ces critères sont essentiels pour s’assurer de la possibilité et de la pertinence de s’y rendre. L’Amérique du Sud m’attire. Elle exerce sur moi une sorte de rengaine lancinante qui par moment devient plus forte. Lorsque j’erre sur internet à la recherche de ma nouvelle destination, sa mélodie se renforce. Mais voilà, les noms tels que Mendoza ou le Torre Del Paine, s’ils sont sur ma liste bien à leur place, sont également fort lointains. La distance qui nous sépare n’est pas si grande mais le voyage pour y arriver se compte en jours. Lorsque l’on a qu’une semaine, c’est inenvisageable. Ce n’est que partie remise et je me concentre donc sur l’Europe et ses destinations. S’il en est une qui me plait pour déjà la connaitre, c’est un pays où vivent encore les Trolls et les Jötunn* : la Norvège. C’est le pays du Grandiose kantien par excellence ! Car si le philosophe sépare le beau du grandiose c’est qu’il aime à couper les cheveux en quatre, ce qui est un comble lorsque l’on sait que Kant portait une perruque.

Le pays est balafré sur tout son côté occidental par les Fjords, que tout le monde connait, au moins de nom. C’est certainement le seul mot norvégien qui se tailla une reconnaissance mondiale et qui est devenu l’épithète de ces lieux si caractéristiques. Ce qui est moins connu en revanche, c’est justement la caractéristique des lieux. C’est l’ancien empire des glaciers, retirés depuis, qui façonnèrent des vallées profondes. A l’ère glaciaire, ces mastodontes qui feraient passer la mer de glace pour un nain, exercèrent toute leur puissance sur la roche brute. Ces temps sont lointains. La glace a fondu, la roche s’est recouverte d’un tapis végétal, les vallées se sont inondées et les rivières, seuls vestiges de cette ère, alimentent les lieux. Les Jötunn sont apaisés et probablement endormis sous cette couche de terre qui recouvrit patiemment la roche.

*Jotunn : Géants dans la mythologie nordique, souvent associés aux forces de la nature.

Si la destination fut relativement facile à choisir, le lieu dans le pays fut assez difficile à trouver. En effet, la Glomma est réputée mondialement mais n’est pas tout à fait ce que je cherche. Je crains la surpêche et les pièges à touristes pêcheurs. Quelques recherches supplémentaires me permettent de trouver des lieux potentiels. La difficulté réside dans la possibilité de trouver des informations fiables et dans une langue que je parle. Quelques lignes trouvées sur un site internet de pêche à la mouche agissent comme un déclencheur au sujet d’un lieu : « Lieu légendaire de la pêche à la truite sur un plateau montagneux, nombreuses truites de toutes les tailles en rivière comme en lac, très dépendant du temps. requiert jusqu’à plusieurs jours de marche dans une nature sauvage : Une destination pour les cœurs vaillants »*. Ce lieu, c’est le plateau du Hardangervidda. C’est également un parc national, le plus grand de Norvège. Il est situé à l’ouest d’Oslo.

C’est à peu près tout ce que je trouve sur cet endroit. C’est le paradis des randonneurs au long cours qui peuvent arpenter un plateau vaste et vierge de toute civilisation. Il me fallut contacter les instances en charge du tourisme local pour en savoir d’avantage. Une fois le contact établi, les informations fournies ont été précises et fiables. La principale difficulté réside dans le fait que les instances en charge de la gestion de la nature en Norvège s’adressent en priorité aux norvégiens. Par conséquent, très peu de traduction dans d’autres langues sont disponibles. On trouve parfois une version anglaise mais bien souvent incomplète. Grâce à mon navigateur internet qui peut traduire du norvégien, je pus comprendre et ainsi choisir cette destination en connaissance de cause.

La date arrive enfin. Les derniers détails finalisés, je prends la route en direction de Charles de Gaulle. Comme j’anticipe une route chargée, je pars tôt. C’est ainsi que j’arrive à l’aéroport presque 5 heures en avance… J’en suis quitte pour errer parmi les voyageurs en transit. Le hasard me fera même asseoir à côté d’un voyageur toulousain revenant tout juste d’un voyage de pêche en Mongolie. Il a voyagé avec Piam l’un des plus grands noms de la pêche à la mouche qui a fondé l’une des organisations qui propose ce genre de destination. Nous échangeons quelques mots sur sa destination, la mienne entre passionnés. Il connait bien la Norvège de l’est qu’il a pêché de nombreuses fois à la recherche de saumons, notamment la Glomma. Chose intéressante, il se rendait habituellement en Norvège en voiture avec des amis, en se relayant sur la conduite.

J’arrive tard en ce samedi à Oslo, et le temps de prendre ma voiture de location, il est déjà plus de minuit. Je prends les commandes de ma Toyota hybride avec près de 400km à faire. La Norvège est un pays où le temps est pris pour les choses, la limitation est à 80 km/h et ce type de distance se couvre habituellement en plus de cinq heures.

Ce n'est pas rare de tomber sur ce type de feux qui régulent le traffic des routes à faibles largeur... L'attente peut être très longue !

Ce n'est pas rare de tomber sur ce type de feux qui régulent le traffic des routes à faibles largeur... L'attente peut être très longue !

Dimanche matin, j’arrive à mon point de chute à Eijdfjord. J’ai dû faire une pause dans la nuit pour dormir quelques heures.

La particularité de ce voyage, c’est que je ne loge nulle part. Je pars avec mon sac à dos dans le parc, en complète autonomie, pour l’explorer de la manière la plus efficace possible. Je prépare cet aspect minutieusement depuis plusieurs semaines. Je suis plutôt sportif et bon randonneur mais partir à l’aventure sur plusieurs jours ne s’improvise pas. C’est donc avec le plus grand sérieux que j’ai préparé mes affaires, trié ce qui était superflu, cherché les solutions aux problématiques posées par l’eau, la nourriture, l’abri. Ce sont des problématiques connues des randonneurs sur plusieurs jours et je trouvais donc une bonne partie de mes réponses sur les forums et un équipement complémentaire à mon nécessaire de pêche habituel. J’ai même réalisé un test en pleine nature pour connaitre mes capacités avec un sac à dos chargé. En effet, pêcher avec un sac lourd me paraissait quelque chose de difficile. C’est lors de la sortie précédente que j’ai pu réaliser ce test. J’ai pêché pendant environ 5h avec le sac sur le dos et parcouru environ 7km à cette occasion. Je pus aussi tester le matériel et affiner la liste des choses à emporter ou à laisser. La démarche fort utile, notamment pour la partie matérielle, est concluante. Il est désormais temps de se lancer dans l’aventure, sans filet, sans droit à l’erreur.

Mais avant de se lancer, il me faut trouver, un dimanche, jour où presque tout est fermé en Norvège, une bouteille de gaz car si un réchaud peut être transporté en avion, sa cartouche de gaz ne le peut pas pour des raisons évidentes. Heureusement, je suis dans une région de randonnée et les stations-services proposent ce genre de petite fourniture du randonneur.

La sortie se joue en trois parties.

Partie 1 : Kinsarvik et les chutes d’eau

Le dimanche même, je décide de partir de Kinsarvik. J’avais repéré les départs potentiels pour le plateau depuis différents endroits de cette partie nord-ouest du parc. Kinsarvik obtient ma préférence de par son côté un peu plus sauvage qu’Eidfjord, l’autre point de départ prévu.

La préparation de mon sac prend du temps car je m’escrime à ne rien oublier. Je ne le cache pas, j’avais une appréhension pour cette sortie. Pas une crainte particulière mais une sorte de stress, plutôt positif, qui me rend nerveux dans le bon sens du terme.

Sac sur l’épaule, me voilà parti pour une randonnée au long court, le long de la Kinso qui arrose Kinsarvik. Le sentier que j’emprunte est habituellement fréquenté car il mène aux cascades de la Kinso. Elles sont au nombre de trois et me rappellent le saut du hérisson dans le Jura, toute proportion gardée car les cascades de la Kinso sont monumentales ! Elles suivent les dénivellations du terrain en partant du plateau d’Hardangervidda pour finir à Kinsarvik. Entre le sommet de la plus haute de ces cascades et Kinsarvik au niveau de la mer, il y a plus de mille mètres de dénivelé.

Je commence à pêcher dès la jonction entre le sentier de randonnée et la rivière. En effet le sentier ne longe pas la Kinso tout le temps. Il s’en écarte parfois car les points de cascade naturellement très escarpés nécessitent de trouver les passages adaptés à la marche, qui bien souvent, serpentent sur l'un des contreforts.

Bien vite la première truite se laisse séduire par une de mes mouches maison et comme à l’accoutumée c’est une demi portion qui ouvre le bal :

première truite !

première truite !

Je suis le cours de la rivière dans sa partie basse alors que le sentier s’en est éloigné. Je suis seul au bord de cette rivière tandis que les randonneurs passent un peu plus haut, concentrés sur leur effort et sur leur juste récompense que sera la vue sur ces « Foss* » majestueuses.

*chute d'eau en norvégien

Nyastolfossen, Nykkjesoyfossen et Sotefossen
Nyastolfossen, Nykkjesoyfossen et Sotefossen
Nyastolfossen, Nykkjesoyfossen et Sotefossen

Nyastolfossen, Nykkjesoyfossen et Sotefossen

Pour ma part ce sont des remous, insignifiants au badaud, qui retiennent mon attention. Ces remous typiques où la truite se plait et guette avec un œil particulièrement perçant ce que la nature peut lui apporter. La configuration des lieux rend difficile la pêche en sèche et je passe assez rapidement en nymphe casquée. En effet les bouillons créés par le courant ainsi que la mousse, empêchent une mouche de surface d’être détectée par les truites. C’est d’autant plus vrai que les trous les plus profonds doivent bien atteindre les 3 mètres. C’est à contrecœur que j’emploie cette méthode que j’aime moins pratiquer que la pêche de surface, mais qui s’avère efficace :

Trolls et Jötunn

Ces nymphes font grimper le rythme des captures ainsi que leur poids moyen. J’explore ainsi chaque vasque que me propose cette rivière jusqu’aux chutes. En effet, chacune des chutes, obstacle infranchissable de la rivière en remontée, devait être contournée en utilisant le sentier balisé qui propose un itinéraire sans risque.

La première ne fut pas réellement difficile à franchir car le sentier retrouvait la rivière peu avant l’ascension et c’est donc par un chemin sûr que je pus passer l’obstacle. Pour la seconde cela s’est avéré beaucoup plus compliqué car le point de fin de remontée de rivière se trouvait assez éloigné du sentier balisé. C’est à travers des bruyères assez haute, des rocs imposants couverts d’une mousse instable et en escaladant quelque peu que je pus retrouver le chemin. A la toute fin de l’ascension vers le sentier, que l’on ne voit qu’au dernier moment puisqu’il est en surplomb, je vis une tête dépasser : une bonne tête de nordique typique me demander « are you ok ? » et de lui répondre par l’affirmative en lui demandant si le sentier était encore loin. Il acquiesça me disant se trouver lui-même sur le sentier. C’est un pêcheur également qui fait son trail en montagne pour garder la forme, un local. Il m’explique que dans cette région, les accidents sont nombreux et que les secours doivent régulièrement assister des personnes qui se trouvent bloqués, incapables de monter ou descendre d’une position donnée. Nous échangeâmes quelques mots sur la pêche dans les environs.

Je reprends donc mon ascension jusqu’à la dernière cascade, la plus haute qui descend tout droit du plateau d’Hardengervidda. Une dernière ascension et je serai sur le plateau. Cette dernière montée, à la fin d’une journée difficile m’achève littéralement. Une montée rude à près de 30% et régulière sur une roche granitique assez lisse et il me faut plus d’une heure pour parcourir la distance.

Après 8 heures d’ascension entrecoupées d’intermèdes piscicoles, je monte mon bivouac :

premier bivouac

premier bivouac

Je suis seul, naturellement. Il est vrai que les chutes attirent un nombre important de visiteurs, mais la plupart sont des randonneurs à la journée qui retournent au parking avant la nuit. Passée la troisième cascade, ces randonneurs se font plus rares. 

Le bilan est plutôt positif avec une quinzaine de truites, du beau temps et une montée certes difficile mais qui s'achève sur l'avant dernière marche de l'accès à un plateau d'Hardangervidda très prometteur ! 

Je m'apprête à dîner quand je m’aperçois que je n'ai pas pris de briquet... La plupart des provisions emportées sont des plats lyophilisés et je ne peux me passer de briquet. Quand je pense que c'est déjà la même erreur que j'avais faite lors la préparation... 

Il me faut donc redescendre pour aller chercher ce maudit briquet ! 

Lundi matin, après une bonne nuit de sommeil, je décide la redescente. Cette décision fut d'autant plus difficile à prendre que le temps, très propice, ne durera peut-être pas... 

Partition 2 : Grintingsvatnet

Après la redescente que j'effectue rapidement et où le poids du sac (presque 10kg) se fait sentir, je décide d'aller faire un tour dans Kinsarvik pour faire quelques provisions et aviser de la suite. En effet, je devais partir pour 3 jours et remonter tout de suite au même endroit me ferait perdre un temps precieux en allers-retours inutiles. Je me mets donc à la recherche d'un nouvel endroit où pêcher :  

J'ai déjà eu de pires conditions de travail

J'ai déjà eu de pires conditions de travail

C'est à l'aide de la carte et des informations du site Inotur.no, le site où l'on achète ses cartes de pêche, que j'arrive à trouver une destination intermédiaire : le lac de Grintingsvatnet. 

Ce lac est relativement proche et pas trop haut en altitude. J'envisage un déplacement sur 3 jours, redescente comprise. L'avantage est qu'il est alimenté et se déverse dans une rivière, la Vivippo. L'inconvénient de ce lieu est qu'il n'aboutit pas sur le plateau. En effet, c'est une enceinte rocheuse parfaitement infranchissable qui se dresse comme une muraille en fond de vallée. 

Le point de départ est le même que pour la destination précédente. Je retourne donc au même endroit en voiture avant de reprendre sac à dos sur l'épaule, avec des allumettes ce coup-ci, le chemin des rivières. 

La Vivippo est moins large que la Kinso et se présente comme une rivière à truites typique de montagne, parsemée de gros blocs rocheux polis et de larges concrétions granitiques bien plus brutes et parfois énormes. De la même manière, un sentier de randonnée la longe se rapprochant ou s'éloignant tour à tour en fonction du terrain. 

coin typique de la Vivippo

coin typique de la Vivippo

Les truites répondent bien et c'est en pêchant en mouche sèche que les meilleurs résultats sont observés, ce qui n'est pas pour me déplaire. Les truites ne sont pas bien grosses mais elles sont nombreuses. 

Trolls et Jötunn

La rivière est magnifique, les eaux sont si claires qu'elles ne laissent aucun détail échapper aux yeux extérieurs. Lorsque je remplis ma gourde, l'eau est limpide, sans aucune impurté. Je lui adjoins un cachet de purification pour me donner bonne conscience, mais j'ai le sentiment très net que je pourrais la boire telle quelle !

l'eau prend des reflets turquoises ou vert d'eau lorsque la profondeur augmente

l'eau prend des reflets turquoises ou vert d'eau lorsque la profondeur augmente

L’ascension est relativement facile jusqu'aux couches granitiques qui sont marquées par l'apparition des premières cascades : 

celle-ci est de taille relativement modeste par rapport aux plus hautes qui atteignent facilement les cinq mètres

celle-ci est de taille relativement modeste par rapport aux plus hautes qui atteignent facilement les cinq mètres

A partir de ce moment le dénivelé devient un réel problème. En effet, la rivière est encaissée de gorges et je ne peux donc pas remonter vers le sentier de randonnée. En face, les cascades semblent de plus en plus difficiles à franchir. Deux options s'offrent alors à moi : soit continuer à monter dans la difficulté et tenter quelques truites au passage tout en espérant que le sentier soit accessible de nouveau, soit redescendre et reprendre plus bas le sentier. La première option sera choisie et si ce n'est la plus simple, c'est sûrement la plus rapide car je me pensais déjà relativement haut dans l'ascension. 

Cette montée fut extrêmement éprouvante pour trois raisons principales : 

- la fatigue car cette difficulté venait encore puiser dans ma réserve bien entamée des efforts de la veille et du jour même

- le terrain, très difficile à cause de l'impossibilité de monter par la rivière, les blocs rocheux à franchir étant trop accores et le passage par la foret difficilement praticable également. La seule possibilité dans bien des cas était de passer par le chemin tracé par les deux gros tuyaux noirs qui servent à capter l'eau de la rivière pour l'alimentation en eau potable de Kinsarvik. 

- la chute. Ce qui devait arriver arriva, une chute a bien failli me faire passer mes envies d'aventures, et mes envies tout court. En évoluant sur une plaque rocheuse assez lisse, en pente douce, j'ai glissé. Le problème est que cette plaque menait, en pente douce, droit dans une chute d'eau de 3 à 4 mètres avec un tumulte d'eau et des rochers. Parti en glissage vers cette issue incertaine, je ne dois mon salut qu'à un réflexe, qui fût de me retourner face au danger. Ce réflexe m'a permis de voir une faille dans la roche dans laquelle j'ai pu flanquer mon pied et interrompre in extremis ma glissade vers... 

Après toutes ces péripéties et déjà bien hors d'haleine, je finis par retrouver le sentier, pensant qu'il ne me reste qu'une formalité d'ascension à parcourir pour atteindre le lac que je choisis comme point de chute (pour le coup, là c'est moi qui choisis). 

En fin de compte, je ne l'ai rejoint qu'au début de l'ascension principale qui me prendra près de deux heures de montée : 

Difficile ascension de la Vivippo vers le lac ! les paysages aident cependant à garder le cœur vaillant
Difficile ascension de la Vivippo vers le lac ! les paysages aident cependant à garder le cœur vaillant

Difficile ascension de la Vivippo vers le lac ! les paysages aident cependant à garder le cœur vaillant

Fourbu, après une journée complète à marcher, crapahuter, escalader et même à tomber, j'atteins enfin le lac. Je ne puis retenir une sensation d'ivresse qui s'assortit d'un cri de victoire. Les rennes alentours doivent certainement juger ce comportement particulièrement déplacé, lorsqu'ils accomplissent ce genre de prouesses chaque jour depuis leur naissance, et se rient sûrement de moi. C'est assez étrange car sur la carte, l'accès semblait facile, la pente relativement abordable, mais en fin de compte c'était dur... 

J'installe le bivouac au bord du lac de manière à profiter des dernières minutes de soleil et me prépare un repas chaud. 

Le bilan de la journée reste positif avec la prise de 17 truites

lac d'altitude typique de Norvège

lac d'altitude typique de Norvège

Le bonheur tient parfois à de petites choses, telles que manger chaud ou pouvoir faire sécher ses chaussures. Ce sont des choses insignifiantes qui sont autant de petites victoires, maigres et pathétiques en apparence, qui redonnent la joie au cœur de l’exilé volontaire, en un mot : le Bonheur. 

Le poulet au curry de ce soir là, réhydraté avec soin : je l'ai mangé comme si c'était un des mets les plus délicats qu'il m'ait été donné de déguster. 

Ma déconvenue qui m'a contraint à la redescente m'a également permis d'acheter quelques provisions supplémentaires, telles que les excellentes amandes de la région, qui font office d’apéritif ainsi qu'une autre spécialité locale qui donne un peu de baume additionnel, surtout au moral : 

 

le chocolat Freia, un incontournable de la Norvège

le chocolat Freia, un incontournable de la Norvège

Je m'endors vers 21h après cette rude journée. J'ai remarqué ce phénomène également lors d'autres sorties pêches, le plein air me donne envie de me coucher plus tôt. C'est sûrement lié à la fatigue des activités d'extérieur et certainement aussi à une harmonie que notre corps retrouve avec les rythmes naturels. Pas de lumières pour tromper notre horloge biologique, pas de smartphone et leurs bruits dérangeants, quand il fait noir et silence, c'est l'heure de dormir. Quelques pages de mon livre du moment finissent de me faire basculer dans le sommeil. 

Je me lève aux alentours de 7 heures, reposé mais encore un peu raide de mes exercices des jours précédents. Je décide de passer une journée plus tranquille en limitant la longueur de la marche. Je décide ainsi, tout en mangeant mes céréales et en sirotant mon café, de pêcher le lac et ensuite de remballer le campement pour pêcher à remonter sur la Vivippo. 

Sitôt dit, sitôt fait et je monte ma canne pour pêcher à l'ultra léger dans le lac. Cette petite canne est bien pratique pour ce type de pêche. En lac, la pêche à la mouche reste aléatoire et plutôt monotone. C'est donc monté d'une Meps Aglia 1 que j’entame la pêche. Très vite, je comprends que les truites se tiennent sur les parties profondes en cette matinée avec les premières prises : 

les truites du lac sont un peu plus dodues que celles de la rivière

les truites du lac sont un peu plus dodues que celles de la rivière

Les truites se montrent coopératives et leur taille n'est pas pour me déplaire. Sans doute que de beaux spécimens se cachent dans les profondeurs. 

Le soleil apparaît aux alentours de 8h dans cette vallée encaissée. Il illumine de l'oblique de ses rayons le lac avec cette lumière douce de l'aube tout en frappant l'autre extrémité de la vallée de plein fouet pour en révéler le moindre détail, c'est un spectacle splendide. Ce qui l'est tout autant, c'est qu'avec ces mêmes rayons il sèche mon bivouac rapidement et je peux ainsi le remballer au sec. Si le temps est beau et que les journée sont ensoleillées, c'est assez exceptionnel pour la région. 

Le milieu de matinée, me voit quitter la zone du lac pour la rivière qui l'alimente. Je reprend ma canne à mouche qui sera sûrement meilleure que l'ultra léger dans ce cas. Les eaux, toujours aussi cristallines révèlent des coins de rêve que le relief arrive à facilement cacher mais que je découvre à chacun de mes pas. 

un petit paradis du pêcheur !
un petit paradis du pêcheur !
un petit paradis du pêcheur !

un petit paradis du pêcheur !

et que dire de cette portion marbrée assez unique en son genre...

et que dire de cette portion marbrée assez unique en son genre...

Ce qui m'étonne le plus dans cette vallée, c'est sa beauté brute et le peu de personnes croisées. Les touristes se massent aux endroits les plus réputés, qui valent le détour bien entendu, mais négligent tout à fait leurs alentours parfois tout aussi charmants ! C'est sûrement le luxe de ces régions dont les attraits sont trop nombreux, il faut prioriser pour avoir le temps d'en faire un maximum. Ainsi ce type de lieu reste caché, au seul plaisir des yeux des autochtones et des rares passants de mon acabit. 

Si cette vallée est belle, elle est également riche en truites, c'est pas moins de 46 spécimens que j'attraperai au long de cette journée. Elles sont un peu plus grosses que lors de la montée vers le lac mais restent toutefois de taille modeste. 

La journée fut vite passée et c'est toujours sous un soleil radieux que je monte le bivouac

je suis assez proche de l'extrémité de la vallée

je suis assez proche de l'extrémité de la vallée

Je dois redescendre le lendemain matin et réfléchir à ma nouvelle destination. C'est mon unique préoccupation tout en contemplant la vallée que je surplombe désormais. Je n'ai vu personne depuis 48 heures mais je me sens bien, réchauffé par les derniers rayons de soleil d'une belle journée de pêche.

le soleil se couche bien vite et je ne tarde pas à l'imiter
le soleil se couche bien vite et je ne tarde pas à l'imiter

le soleil se couche bien vite et je ne tarde pas à l'imiter

Finalement, cette vallée que j'avais mise de côté s'avère plus intéressante que prévue. Elle n'est certes pas le plateau recherché initialement mais elle sut m'accueillir de la manière la plus élégante qui soit. Je repartis donc sans un bruit en profitant pour prendre quelques truites au passage dans le lac. 

Je croisais tout de même quelqu'un en redescendant, avec une bonne tête de Nordique !  le même que sur l'autre parcours. Nous en profitons pour échanger quelques mots sur la rivière, la vallée et le plateau. Il me confirme que les plus gros poissons se trouvent sur le plateau. C'est donc en recherche du plateau que la prochaine étape me conduisit. 

Partition 3 : Servies sur un plateau ? 

La redescente a été difficile et l'un de mes genoux commence à me faire sentir que j'en fais trop. Je cherche donc l'astuce pour pêcher le plateau sans avoir les 1000m de dénivelé à parcourir. Je trouve ma réponse à Odda dans le magasin de sport local dont l'un des vendeurs est aussi pêcheur. Il me recommande l'accès par le lac de Tinnhylen qui possède le seul accès routier au plateau. C'est à presque 100km d'Odda et je décide de m'y rendre. Il s'agit, en fin de compte, d'une piste à péage qui mène à l'un des lacs du parc. Cette piste ne mène pas très loin dans le parc mais a l'avantage de faire démarrer les sentiers de randonnées à la même altitude que celle du plateau. La marche en revanche reste de rigueur pour trouver les meilleurs coins ! 

Après une heure de marche, je m'installe au bout du lac pour la nuit. 

Trolls et Jötunn

La nuit sera pluvieuse, tout comme le matin. La pluie s'accompagne d'un froid un peu plus intense et le plateau prend des allures assez morne avec la pluie et le brouillard. Je décide cependant de ne pas m'arrêter à ces aléas pour reprendre la pêche. Je vise en priorité les rivières du plateau. Il y en a justement une à l'endroit de mon bivouac. Après quelques minutes de pêche j'arrive à prendre la première truite du jour. 

Trolls et Jötunn

Elles sont beaucoup plus grosses en moyenne. J'en prends 6, dont la plus grosse mesure 37cm, sur une portion de rivière relativement petite qui sépare deux lacs. C'est une des particularités de la Norvège, les rivières sont bien souvent le moyen de faire passer l'eau d'un lac à un autre.

Le temps n'est vraiment pas bon et je commence même à sentir mes doigts s'engourdir, signe d'un froid notable. Les nuits, la température doit descendre à 5 ou 6° avec du vent et me rappelle cruellement que je suis bien dans le nord de l'Europe. Les truites m'aident cependant à tenir le coup moralement

crème solaire superflue !

crème solaire superflue !

La portion de rivière passe bien vite et je me décide à m'orienter vers la suite de mes aventures. Je ne suis pas ragaillardi par les conditions et me dit qu'une bonne marche pour rallier un autre endroit ne me fera pas de mal. 

La marche fut longue pour rejoindre la zone, en passant par l’un des sommets du parc à plus de 1400m d’altitude. D’après ma carte il y avait une possibilité de couper à travers la lande mais je craignais des zones tourbeuses difficiles à franchir. La vue au point culminant de cette marche est assez typique du plateau :

Trolls et Jötunn

C'est un paysage dont je ne suis pas le plus grand adepte. En effet, la lande paraissant sans fin et lissant tous les micro-reliefs par la platitude de l'horizon a quelque chose de monotone. C'est d'autant plus vrai lorsque l'on marche dans ces endroits qui semblent faussement proches. L’avantage de ce type de configuration c’est que l’on peut anticiper le temps assez facilement. On voit nettement arriver les trombes d’eau. Ce qui est plus difficile en revanche c’est de deviner leur trajectoire et il faut observer attentivement les mouvements de colonnes d’eau pour savoir si l’on va être trempé ou non.

les trombes de cette image sont à environ 5 km

les trombes de cette image sont à environ 5 km

Sur la fin de mon trajet, le soleil a fait son apparition et me permet de quitter l’imperméable. Le vent reste fort qui renforce la sensation de fraicheur. Ma décision est prise de monter le campement dès mon arrivée afin de faire sécher mes affaires humides d’avoir été rangées sous la pluie. Je dois rejoindre le croisement d’un sentier pour tracteur et de la rivière visée. Après 4h de marche j’arrive enfin sur place. Je monte le campement en vitesse pour profiter des rayons de soleil inespérés en cette journée que la météo annonçait pluvieuse. 

Trolls et Jötunn

Le secteur est assez particulier. On trouve des monticules de terre noire qui recouvrent souvent une sorte de minerai rouge orangé typique de la présence d’oxydes de fer. Ces caractéristiques se retrouvent dans certaines rivières qui les traversent et prennent un aspect assez étrange de couleur rouille bien que parfaitement naturel : 

Trolls et Jötunn

Après mon installation j’en profiterai pour pêcher l’aval du secteur de mon bivouac et c’est une douzaine de truites qui répondront à l’appel du soir. La rivière est un peu plus intéressante que celle pêchée le matin, les truites y abondent bien que la taille moyenne est un peu plus faible pour cette partie aval.

Trolls et Jötunn

Lors de la marche du jour j’ai pu avoir accès au réseau téléphonique un bref instant. Les prévisions météo ne sont pas bonnes pour le lendemain qui sera ma dernière journée dans le parc. Je n’accorde pas une confiance excessive dans les prévisions disponibles car elles étaient majoritairement fausses. Les modèles météorologiques sont déjà complexes lorsqu’il s’agit d’endroits de plaine alors je ne peux qu’imaginer la difficulté supplémentaire apportée par un relief montagneux aussi particulier que celui des fjords. 
Le lendemain matin, je pars en remontant la rivière et me donne un objectif simple : passer les 100 truites. En effet, les comptes de la veille donnent 99 truites prises. Je ne peux en rester à un nombre à deux chiffres. 
La nuit a été difficile, froide et très pluvieuse. Le fait d’avoir pu faire sécher mes affaires m’a tout de même permis de passer une nuit dans un confort relatif. Le thermomètre est descendu à 5° sur le plateau le tout renforcé par le vent : une belle nuit d’été sur l’Hardangervidda !


Je replie mon bivouac sous la pluie comme je peux avec mes mains engourdies par l’humidité et le froid. 
Bien que frigorifié, je reprends mon ultra léger pour remonter la rivière en quête de ma 100ème truite. Je me donne jusqu’à 11h du matin afin de me laisser suffisamment de temps pour retourner à la voiture. Seulement si sa partie aval fut productive, il semble que la partie amont soit plus difficile. Ce n’est qu’à la sortie d’un virage en amont d’une zone de remous typiques que je tombe enfin sur ma première truite : « et de 100 ! Me dis-je »

Je persévère sur la zone jusqu’à ferrer un poisson bien plus gros. Dès la prise de contact, l’attitude du poisson est bien différente, toute en force non en rapidité. Le combat est âpre et finit par tourner à mon avantage. Je mets au sec une truite bien plus grosse que les autres. Mesurée à 46 cm pour un poids que j’estime à plus de 2kg. Par malchance, mon téléphone m’a lâché dans la nuit et je n’ai pas de photos de cette truite. 


En continuant ma route, je prendrai d’autres truites ce jour mais aucune aussi grosse. Je suis heureux, et même si le temps exécrable me rappelle vigoureusement qu’il va bientôt être temps de rentrer, je n’en ai pas envie. Ce plateau a tant à m’offrir ! 


Aux alentours de 11h, complètement transi, je me décide enfin à rentrer à la voiture en prenant le risque de couper à travers la lande. Ce faisant, je tomberais plusieurs fois nez-à-nez avec les habitants des lieux que sont les perdrix blanches et les bécasses. Finalement les tourbières n'étaient pas si redoutables et même si aucun sentier ne m'indiquait la route, je pouvais me fier à mon sens de l'orientation.

Epilogue

De retour à la voiture trempé jusqu’aux os, je me décide à rentrer vers Oslo par le chemin le plus long, celui qui contourne le parc. Cette longue route parsemée d’endroits aussi grandioses me laisse songeur. En une semaine, je n’ai fait qu’égratigner la surface des possibilités infinies qu’offre un parc aussi vaste. En retraçant mes itinéraires sur les cartes type IGN locales, je me rends compte que je n'ai parcouru qu'une partie infime du parc. Tant d’espace, tant de truites, si peu de temps. 


Je ne sais pas si je retournerai en ces lieux car même si j’admets volontiers n’en avoir pas fait le tour, j’aime la découverte, suivre des pistes, aller dans des endroits insolites. En m’arrêtant sur le retour, je pus discuter avec les membres du parti travailliste local, en campagne pour leur réélection, qui offraient du café sur le parking d’un supermarché. Nous avons parlé pêche et ils m’ont vivement recommandé le Finmark pour mon prochain séjour. 
 

Sur le chemin du retour, ce sont mille destinations qui se bousculent à mon esprit qui retrouve peu à peu ses tourments quotidiens. Il me semble désormais temps de voguer vers des cieux plus exotiques. Est-ce le froid qui me donne envie d'aller me frotter aux légendaires tarpons des mers chaudes? Je pense également à cet autre poisson de sport qu'est le saumon. A bien y réfléchir, c'est plus profond, la résultante d'un processus. j'ai le sentiment d'avoir franchi un cap, une sorte de pallier qui verront mes aventures aller vers les défis que je sais pouvoir relever. Le "quand", le "quoi" et le "où"restent cependant des inconnues à résoudre.

La suite au prochain épisode ! 

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