Si on devait me qualifier en tant que pêcheur, il me semble que les eaux vives et les salmonidés seraient certainement les qualificatifs les mieux adaptés. Certes, les eaux vives me paraissent toujours plus attrayantes que les eaux closes mais il n’en fut pas toujours ainsi. Il est même des moments dans ma vie de pêcheur où les étendues d’eau stagnante exerçaient sur moi une irrepressible envie d’en découdre. Ces moments là étaient mes belles années de pêche à la carpe. La vue d’un lac faisait tressaillir mon sens de l’eau, m’inspirait le mystère et l’inconnu. Quelles ne furent pas mes émotions à la découverte de lacs tels qu’Orient, Madine, Annecy, le Bourget, Hourtin Carcan... C’est aussi l’époque de ma vie où j’avais du temps, luxe aujourd’hui, richesse de jadis. Peu à peu, les contraintes d’une vie d’homme me tirèrent de ma réclusion de carpiste. J’exècre ce qualificatif tant il est porteur de négativité de nos jours alors que je le connus à une époque où il était synonyme de pionnier, d’aventure et d’inconnu.

Il me semble que de nos jours la pêche de la carpe a perdu beaucoup de son attrait par sa rationalisation à outrance. Je ne me reconnais plus dans les pêches modernes et dans ces pratiques. On n’ignore plus, on sait, on ne cherche pas, on sait, on n’innove plus, on a déjà tout inventé, on n’a plus de patience, on n’en a pas besoin. Ce n’est plus un art de vivre mais une science aux limites bien définies et malheureusement bien connues. Le temps où nous explorions de nouvelles pistes d’une discipline, elle même nouvelle, est bien révolu. Ce n’est pas l’un de mes plus vieux compère de pêche Alex, qui me dira le contraire :

Souvenir : les carpes de la jeunesse

Cette photo a presque 25 ans et montre la passion qui nous animait alors. Passion que je pensais inextinguible mais qui, tel un brasier, connaît ses limites en comburant. Même si elle brillât haut dans le ciel de mes jeunes années, elle finit par se rabougrir telle une naine blanche d’un soleil trop vieux.

Je vivais à Blois alors, et c’est au bord de l’eau que je rencontrais Alex avec qui je partage fièrement la réussite de cette photo. Nous étions adolescents à cette époque et pas seulement dans notre approche de la vie. Nous l’étions également à la pêche.

Nous pêchions principalement en lac à cette époque et nous avions des succès relatifs. Ni bons ni mauvais, nous tâtonnions. Nous nous documentions, et essayions des trucs si bizarres qu’ils sembleraient moyen-ageux aux carpistes de notre ère. Mais c’étaient nos débuts, nos années jeunes qui virent tout de même quelques succès dans des endroits choisis tel que le lac d’Averdon :

Souvenir : les carpes de la jeunesse

C’est Alexandre qui m’avait fait découvrir ce lac, un grand étang communal situé au nord de Blois. Ce n’était pas bien loin mais à chaque fois une véritable expédition car si notre matériel était rudimentaire il n’en prenait pas moins de place. C’est même sur ce lac que j’ai pêché de nuit pour la première fois. J’avais en plus de mon barda habituel emmené ma tente canadienne, un matelas gonflable, mon duvet et des sandwiches pour pêcher pendant 36 heures. Le temps était exécrable et seule la nuit avait été belle. La première carpe prise de nuit revêt une importance particulière et son souvenir est resté vivace dans mon esprit. Il s’agissait d’une carpe miroir d’environ 5 kg avec un écaillage particulier. Bien sûr je n’ai aucune photo de cette époque. J’utilisais alors un vieil appareil qui ne fonctionnait qu’une photo sur deux et évidemment pas la nuit.

Nous avons pu grâce à cela peaufiner notre technique et les pêches devenaient plus faciles. Nous découvrions et tâtonnions, avec un succès naissant, le rêve de tout esprit aventurier :

Souvenir : les carpes de la jeunesse

Les carpes étaient belles mais bien petites. A cette époque, prendre une carpe de 10kg était déjà une réussite dans notre région de Blois. En prendre une de 15 kg était très rare et les poissons de plus de 20kg n’étaient guère qu’un doux rêve.

On nous conseillait la Loire pour prendre des poissons hors norme. Tous les pêcheurs étaient formels, des monstres hantaient ces eaux. La preuve irréfutable est que tous ont une histoire de poisson si puissant qu’il se trouvaient impuissants à l’arrêter. Le duel se terminait systématiquement par un fait qui rendait la carpe victorieuse de son duel. Hors si la part du mystère m’attire, je ne suis pas dupe...

Nous avions déjà pêché la Loire, sans grand succès il faut bien l’avouer. Une carpe de temps en temps c’est tout. Il nous arrivait de tenter l’amont du lac de Loire au printemps sur une presqu’île qui, lorsque le barrage de Blois était remonté, redevenait une île. Durant l’été, nous pêchions le lac de Loire et tentions la carpe sans succès. Le feeder était autrement plus amusant et rentable.

Il me revient des anecdotes sur ces périodes et notamment celle du Okuma d’Alexandre qui me fait encore sourire de nos jours. Nous étions sur la presqu’île en début de saison. Nous avions tendu nos cannes à carpe, enfin les cannes dont nous disposions alors et que nous destinions à la carpe, rien à voir avec les rutilantes cannes spécifiques de l’époque venues tout droit d’Angleterre qui avait une décénie d’avance sur nous. Dans ce lot de cannes variées, Alex avec une canne carnassier équipée d’un moulinet Okuma. Sans doute adapté à la pêche du sandre au posé, l’ensemble était un peu léger pour les carpes, a fortiori les sauvages de la Loire. Évidemment mal entretenu, pas aidé par les conditions de pêche, à la suite d’une des rares touches, le moulinet d’Alex se coinça. Cette scène, je pense me la rappeler toute ma vie ! Le stress était à son comble, la carpe tirait, Alex qui se retourne vers moi en forçant manifestement sans résultat sur la manivelle et qui me dit : « oh ! Coincé ». Passé la surprise, il eut le réflexe de faire tourner le bol du moulinet. Il força et finit par le décoincer dans un bruit de craquement parfaitement inquiétant. Par miracle, Alex mit la carpe au sec et son Okuma à la retraite. Le comique de la situation me fait encore sourire plus de 20 ans après.

Avec le temps, nous avons affiné notre approche. Bien que les carpes bougent beaucoup, le choix du secteur s’est révelé crucial, l’amorçage devait être conséquent et les montages rivières doivent être adaptés. Une fois ces éléments intégrés suite à de nombreuses déconfitures, nous avons pu réaliser des pêches incroyables de carpes, multipliant les touches, jusqu’à une dizaine par matinée.

Souvenir : les carpes de la jeunesse
Souvenir : les carpes de la jeunesse
Souvenir : les carpes de la jeunesse
Souvenir : les carpes de la jeunesse

Nous étions bien jeunes et passionnés de pêche. On ne comptait pas les kilomètres et nous cherchions les carpes partout où c’était possible. Nous en avons pris dans pratiquement toutes les eaux accessibles des environs de Blois.

La passion pour la pêche de la carpe s’est calmée chez moi, elle est comme endormie, se contentant de se réveiller de temps en temps. Alexandre continue de traquer les carpes de manière assidue et reste fidèle à ce qui nous plaisait tant à cette époque : les carpes vierges et les lieux délaissés. La passion se renforce chez lui avec les années et nous sommes toujours amis. C’est bien la preuve que la pêche, si elle permet des amitiés fidèles ne peut être la seule composante d’une amitié durable :

Souvenir : les carpes de la jeunesse
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