Le moteur V6 de mon Ford F150 de location ronronne doucement. Les 320 chevaux se montrent discrets mais répondent dans un hurlement ravageur à la moindre sollicitation de l’accélérateur de ce monstre de plus de trois tonnes. L’autoroute déroule son long ruban qui me ramène vers l’aéroport de Montréal. Une semaine de pêche vient de s’écouler et me reviennent en mémoire les temps forts de ce séjour de pêche, consacré aux eaux vives.

Les Adirondacks furent mon choix pour cette semaine de pêche à la recherche de truites de tous types et de toutes tailles. En fait, mon choix premier était le Canada et les environs de la rivière au rat. J’y renonçais bien vite car si les rivières sont publiques au Québec, leur accès peut se voir restreint par bien des biais et la pêche y est bien souvent interdite (dans les SEPAQ notamment). Dans ce contexte, je me rabattais aussitôt vers les Etats-Unis dont la réglementation est bien plus simple et même assez proche de la nôtre en ce qui concerne la pêche en rivière.

Les Adirondacks sont une petite chaîne montagneuse du nord-est américain. Elles (ou ils) sont flanquées entre les Appalaches et la frontière canadienne et marquent la toute fin de l’état de New-York. Les sommets de cette chaînes ne passent pas les 1500m, ce qui donne à cette région des similitudes aux Vosges que je connais si bien. La comparaison s’arrête cependant au relief car les Adirondacks sont autrement plus sauvages. La forêt y est dense et impénétrable. Cette forêt omniprésente occulte l’horizon et c’est pratiquement toujours sous une voûte d’arbre que l’on devine le jour. Cette caractéristique donne à l’aube et au crépuscule une langueur qui rallonge ce point de basculement entre lumière et ténèbres.

Voici les paysages typiques des Adirondacks :

Un point de vue dégagé, probablement l'un des seuls. Notez la brume matinale, très courante dans cette région

Un point de vue dégagé, probablement l'un des seuls. Notez la brume matinale, très courante dans cette région

Et sur les berges de l’un des nombreux "ponds" :

Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016

 

La capitale autoproclamée en est Lake Placid, ville Olympique qui eut par deux fois déjà l'honneur d'accueillir les Jeux d'Hiver. Cette ville est désormais une station de ski pour New-Yorkais branchés ce qui eut pour conséquence d'apporter à la ville un cachet très "bobo" qui tranche avec la montagne environnante 

Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016

J’arrivais en plein tumulte du week-end du « labor day » qui est un lundi férié aux Etats-Unis. Les state park et les locations, étaient pris d’assaut et il ne restait que bien peu de places. Le contraste fut d’ailleurs saisissant entre mon arrivée le vendredi soir dans un state park qui affichait complet sur ses 130 emplacements et le lundi soir où nous n’étions plus que trois…

Mon point de chute était le Buck Pond state park. C’est une espèce de camping même si la manière de camper des américains n’a rien à voir avec la nôtre. Les « state park » sont pour la plupart ouverts sur la nature avec bien souvent des accès à l’eau, sans aucune clôture, et il n’est pas rare d’y croiser des animaux sauvages. Ils sont gérés par le DEC (department of environmental conservation), un équivalent de notre ministère de l’environnement, sur leurs propres territoires. C’est une manière de camper qui me conviens parfaitement où les seules prestations offertes sont habituellement liées aux activités de la nature environnante telle que le canoë, la pêche ou la randonnée. Le confort se résume à des sanitaires et un petit emplacement qui permet de faire du feu ce dont je ne me suis pas privé : Je pus ainsi céder à une autre tradition locale qui consiste à griller à même le feu des marshmallows gros comme une balle de tennis.

Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016

Une fois la flamme passée, l’absence de lumière sur le camp révèle un ciel d’une pureté rare constellé de milles étoiles :

Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016

Et la pêche dans tout ça ?

Dans ces lieux, les rivières sont les Reines. Elles sont les reliques des luttes entre les volontés de Vulcain et de Neptune. Le champ de bataille plusieurs fois millénaire sans vainqueur ni vaincu laisse ici des traces dans la roche et dans l’eau. Ces rivières sont un Eden pour l’amoureux des eaux que je suis.

Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016

Les nombreux blocs qui jonchent le lit de la rivière sont autant de témoins de la nature des forces engagées. Ils ont été déplacés, tels de simples pierres, par des glaciers immenses qui façonnèrent la région dans les temps immémoriaux où la glace recouvrait les Adirondacks.

Nous sommes au cœur d’un des lieux mythiques de la pêche à la mouche aux Etats-Unis. C’est la Ausable River, renommée entre toute, qui déroule son cours sur plusieurs bras dont le plus fameux et le West Branch. Ici la rivière peut avoir le même nom et plusieurs origines, bien souvent désignés selon sa situation sur les points cardinaux. Cette appelation remonte au temps des Indiens qui ne nommaient pas les affluents d'une rivière. Ainsi ils considèrent que c'est la même rivière mais dont les origines peuvent être différentes. C’est un peu comme si l’Yonne s’appelait "Seine du Sud". Dès lors, vous préciser que j’ai pêché la Saranac, l’autre rivière à forte renommée, ne vous donne que peu d’indications si je ne vous précise pas de quelle branche il s’agit.

Une carte m’aidât à m’y retrouver dans ce dédale de rivières, de creeks, de brooks et de pond qui s’offrent à mes mouches et autres appâts :

Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016

Encore une fois, je tiens à signaler le travail minutieux et très profesionnel réalisé en cartographie par les américains. Outre les traditionnelles indications géographiques, on y trouve toutes les indication utiles pour la pêche tels que les accès. Ils pensent même à signaler les zones privées, information tout à fait précieuse, quand on sait que pénétrer indûment sur une terre privée se fait risque de son intégrité physique !

Les poissons reviennent aussi à ma mémoire, de toutes couleurs et de toute beauté. On trouve ici une belle variété de salmonidés avec au moins 4 espèces possibles depuis la "Brook", originaire des eaux locales, à l’arc en ciel en passant par la "Brown" ou le "splake". C’est aussi un lieu migratoire pour les saumons atlantique avec deux « salmon rush » par an. L’un a lieu au printemps avec pour principale motivation la nourriture, l’autre en septembre avec comme objectif la reproduction.

Les truites les plus présentes sont les « Brookies » qui colonisent littéralement le moindre ruisseau et semblent avoir un dynamisme reproducteur intense !

Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016

Leur teinte varie du gris au brun selon le milieu. Elles sont toujours mouchetées de jaune et arborent de belles zébrures. On peut trouver ces poissons dans nos eaux, ce sont des ombles de fontaine.

Le comportement des poissons américain est quant à lui tout à fait intriguant. Il est intimement lié au type de rivière et au type de truites. Les Brookies sont relativement casanières et ne bougent pas beaucoup sur la rivière. Elles ont leurs habitudes et leur habitat. Les arcs en ciel et les brown en revanche, n’hésitent pas à migrer selon les conditions. C’est principalement le niveau de l’eau qui influe sur leurs migrations. Un niveau d’eau élevé verra une répartition relativement uniforme de la population. A l’inverse un niveau bas verra les lieux plus profonds de la rivière colonisés par les truites. Elles n'hésite pas à remonter ou descendre sur plusieurs kilomètres pour trouver une zone de confort. Je me suis ainsi vu arpenter plusieurs kilomètres sur des portions de rivières extraordinaires sans la moindre touche.

Ici c’est une portion de la West Ausable river sur laquelle il ne semblait rester aucun poissons. La rivière semblait parfaitement vide de truites comme si l’ombre métallique du tremplin de saut à ski avait éloigné toute vie piscicole de la rivière.

Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016

En revanche, l’Alder Brook que voici abrite sur tout son cours des brookies :

Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016

Il y a même, dans cette rivière de moindre importance et complètement négligée, des truites de grosse taille. J’ai ainsi repéré une truite, sans doute une brown, qui devait avoisiner les trois kilos s’enfuir dans mes jambes alors que j’allais passer sur son lieu de chasse sans l’avoir repérée. C'est cependant la seule grosse truite que j'ai pu voir sur cette rivière, les autres, des "Brookies" restant de taille modeste.

Au cours de ce séjour, j’ai pu découvrir quelques-uns de ces lieux de concentration de poissons de l’étiage. On assiste alors à un spectacle rare où un nombre important de truites cohabitent dans un espace restreint.

Un œil attentif dénombrera une bonne douzaine de truites dans le "pool" que voici :

Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016

Ces lieux de concentration ne sont pas fréquent et la difficulté réside dans leur localisation. Il faut espérer ensuite que les truites ne soient pas soumise à une pression de pêche importante, ce qui a pour conséquence de les rendre très méfiantes. Dès lors que ces conditions sont réunies, une pêche incroyable est possible.

Cette "Brown" par exemple, dépasse les 40cm et m’a gratifiée d’un combat extraordinaire :

Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016
Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016

Et que dire de cette arc en ciel :

Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016

Bien sûr il y eut des truites, un nombre assez important d'ailleurs malgré des conditions de pêche peu propices. Une meilleure connaissance des lieux et notamment des insectes aquatiques, m’aurait permis accroître le nombre de captures. Le comportement de ces truites de grandes rivière est atypique et elles se nourrissent de larves aquatiques dont les plus petites ces temps-ci, si l’on excepte un tout petit papillon blanc, sont des larves de libellules. Je garderais en mémoire les précieux conseils donnés par le gérant du two fly shop de Willmington : un vrai passionné ! Il m'a conseillé efficacement et a pris le temps de m’expliquer l'écosystème des rivières environnantes. C'est une adresse à privilégier avant toute visite aux rivières et aux truites de la région !

Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016

J’arpentais ainsi seul ces contrées sauvages que peuplent encore les ours et autres serpents à sonnette. Fort heureusement, ces créatures dangereuses sont très méfiantes vis-à-vis des hommes. Cette quête solitaire, au mépris des inquiétudes de mes proches, est l'équilibre nécessaire d’un quotidien prenant et d'une vie cadencée. On y retrouve un art de vivre ancestral, sans écran, sans réseau et sans interactions sociales superflues. On se couche et on se réveille avec le soleil et la journée s'articule autour de la pêche. Dans le tumulte des gorges, dans le ruissellement paisible du brook ou dans la torpeur du pool, j’avais l’impression d’appartenir à un tout qui me dépasse dans cette nature tour à tour généreuse ou hostile : je suis chez moi.

Mais bientôt, la frontière Canado-Américaine me rappelle aux contingences des formalités douanières et m’arrache à ces souvenirs. C'est un sourire sûrement niaiseux accroché à mon visage tanné que la douanière a du voir lorsque j'ai baissé la vitre. Ce ne sont pourtant que les bribes de ce qui contribua à rendre ce voyage inoubliable et je pourrais en écrire bien d'avantage. Mais je n'ai que trop écrit et la vision de ce voyage par le prisme de mon esprit ne pourrait suffire. Voici donc quelques images brutes que je laisse à votre libre appréciation :

Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016
Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016
Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016
Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016
Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016
Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016
Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016
Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016
Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016
Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016
Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016
Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016
Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016
Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016
Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016
Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016

Dans quelques heures, je serais dans l’avion qui me ramène à Paris laissant derrière moi quelques truites moins naïves et emportant mes histoires. Le soleil se couchera sur les Adirondacks comme il le fait depuis l'aube des temps, tandis qu'à l'étroit dans mon siège d'avion, j'aurai en tête la question suivante : A quand la prochaine ?

Pêche à la mouche dans les Adirondacks 2016
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